Interview du 18 11 07


Propos recueillis par Isabelle Devauchelle, chargée de la communication-presse chez Retz

 Bruno Guihard, enseignant spécialisé en CLIS et RASED                                         
 Sylviane Guihard-Lepetit , enseignante spécialisée en RASED et auprès d'enfants malades hospitalisés  
                         
1.  I.D. : Pourquoi certains enfants ne peuvent-ils s’accommoder d’une simple méthode de lecture et ont-ils besoin d’un entraînement plus massé sur cet apprentissage du code ?
      Toutes les méthodes de lecture posent d'emblée que les enfants ont compris le principe alphabétique ( les lettres codent les sons qui composent les mots oraux ).Or les classes de CP sont hétérogènes et davantage en ZEP. Certains enfants répondent aux attentes de l'enseignant et d'autres sont dans l'impossibilité d'y répondre, faute d'un minimum de connaissances et de compréhension du fonctionnement de l'écrit. L'enfant qui a compris le principe alphabétique à l'entrée du CP est un enfant qui a bénéficié de plusieurs années d'expériences de l'écrit avec  des médiateurs (adultes lecteurs-scripteurs).Quel moyen a l'enseignant de CP pour aider les autres enfants  à entrer dans l'étude de la langue ? Nous sommes convaincus que l'apprentissage du code alphabétique n'est pas une finalité en soi mais c'est surtout une connaissance « éclairante ». L'apprentissage de l'ensemble des lettres de l'alphabet en  les présentant systématiquement à partir de leur nom associé à leurs propriétés:« le bruit que chacune fait dans le mot-référent » et ses graphies  apporte  à ces enfants fragiles une  première approche explicite du code qui a des répercussions sur leur compréhension de la langue:
l        au niveau du principe syllabique puis alphabétique :comment comparer deux syllabes sans la connaissance des lettres ? La connaissance du code des lettres ( la lettre écrite traduit « un bruit » ) aide à segmenter les syllabes en sons.
l        Au niveau de la conscience métaphonologique: comprendre que les mots peuvent être étudiés pour leur « bruit » et pas uniquement pour leur sens .Nous présentons chaque lettre avec un mot-référent-phonologique fort , nous explicitons aux enfants le choix du mot pour son intérêt grapho-phonologique. La présentation des lettres à double valeur phonémique ( les plus fréquentes pour éviter une surcharge cognitive : c,g,s et o) amène l'enfant à commencer à se construire une représentation des phonèmes.
l        Au niveau des compétences phonologiques : le mot-référent-phonologique aide l'enfant à entendre quelle lettre ( graphie) produit ce phonème dans le mot.De même, lors de l'apprentissage des graphèmes complexes avec nos outils( exemple : « ou de rouge » ...), l'enseignant constate que certains enfants se « mettent à entendre des phonèmes ». Le mot n'est plus entendu dans sa globalité. La prise de conscience des phonèmes n'est pas automatique, elle dépend de l'enseignement du code alphabétique.Les études menées auprès d'adultes non alphabétisés montrent que ceux-ci n'entendent pas spontanément les phonèmes dans les mots.
l        Au niveau de la conceptualisation de la langue: le suivi de la comptine alphabétique avec le doigt sur la frise alphabet donne une expérience du sens de la lecture  et l'énonciation du nom de la lettre synchronisé avec le pointage de sa graphie apporte un élément à la compréhension du lien entre la chaîne orale et la chaîne écrite; sur la feuille de référence Alphabet, l'enfant fragile travaille le passage d'une ligne à l'autre dans le sens de la lecture. La connaissance du nom des lettres participe à la construction de la notion de mot : pouvoir nommer la « première lettre » du mot et  les  dénombrer. L'épellation est un moyen sûr de reconnaître un même mot dans différents contextes et de le mettre en mémoire.
l        Au niveau de son projet d'élève : ces enfants se voient progresser et si leur projet d'élève était peut-être inexistant au départ, le fait de commencer à apprendre va les aider à le construire.
      Les enfants les plus en difficulté ont donc besoin de cette connaissance dès septembre au risque d'un décrochage lors de la confrontation aux textes. L'enseignant doit leur donner  les premières  clés pour comprendre. Seul un apprentissage massé ( nombre important de séances répétées sur une période) permet la mémorisation de l'ensemble du code. Ces enfants pourront alors participer comme les autres aux activités de lecture collective

  CI.D.: Comment  la découverte du principe alphabétique facilite-t-elle l’accès à la combinatoire ?
L'enfant qui a découvert le principe alphabétique a compris  que les lettres (les signes écrits) codent des sons (phonèmes) qui composent les mots oraux. Lorsque qu'il entend « ma » puis « me » et « mou », il a identifié que la lettre M code le même « petit bruit » qui est au début de la syllabe.Il sait d'où vient la syllabe orale produite : la fusion de deux phonèmes dont l'un est [m].La combinatoire est la fusion des phonèmes. Il lui suffit donc de re-produire la syllabe orale en appui sur les lettres dont il connaît le code ( Le mot-référent donne le phonème de la lettre). Le phonème consonnantique seul est difficilement prononçable, il ne demande qu'une seule chose : à être associé à une voyelle ou son-voyelle ( an, in ...). La fusion est alors simple à réaliser et les enfants transfèrent relativement bien la fusion sur les différents phonèmes quand ils l'ont comprise et automatisée sur quelques phonèmes.

3.    I.D. : Une grande partie des exercices proposés pour étudier le code sont des jeux. Est-ce que cela facilite l’apprentissage ? Quelles modalités préconisez-vous ?

Oui , pour des raisons multiples. Tous les supports d'apprentissage du code sont souvent rébarbatifs . Or pour mémoriser le code, il faut obligatoirement passer par des reprises fréquentes de la même activité.C'est d'ailleurs pourquoi, l'enseignant hésite à  proposer des « répétitions » sans attrait. L'aspect ludique apporte une motivation liée au support. L'envie de gagner et de répondre aux consignes du jeu  autorise les répétitions « gratuites » ( exemple: redire tout l'alphabet depuis le début parce que l'on est tombé sur la case rouge...).
Quelque soit le nombre de parties (ex jeu de l'oie) l'envie de gagner reste présente et pousse l'enfant à chercher toutes les stratégies possibles pour trouver des solutions.
Dans ces activités, le temps n'est pas contre lui, il peut chercher et utiliser les aides (feuilles de référence AR, GR, CR.) Les affichages de la classe prennent toute leur utilité car l'enfant est entré dans le jeu. D'une partie à l'autre, il prend conscience de ce qu'il sait et de ce qu'il ne sait pas encore, c'est un facteur important d'apprentissage.
L'enseignant présente ces supports comme « des jeux pour apprendre ». L'adulte et l'enfant établissent une complicité où le jeu devient un médiateur entre celui qui détient la connaissance et qui la livre à celui qui la cherche sans contre-partie. La question de l'évaluation n'est pas l'enjeu.

Quelque soit l'approche du professionnel, il peut adapter l'outil à ses propres besoins.
Ainsi les lotos s'utilisent en groupe-classe mais aussi en petit groupe si l'on souhaite observer attentivement quelques élèves et en individuel pour des re-médiations spécialisées. La progressivité des supports ( ex matériel Alphabet: lotos A1, A2, A3  avec 3 jeux d'étiquettes) facilite la différenciation. Nous conseillons l'utilisation de certains de nos outils sur des temps répétés quotidiennement sur une période, c'est un passage obligé si l'on veut que ces connaissances soient mémorisées et stabilisées.

 I.D. :En quoi la Boîte à outils pour l’apprentissage du code diffère-t-elle d’une méthode  de lecture ? L’enseignant peut-il l’utiliser en complément de sa méthode ?

La Boîte à outils n'est pas une méthode de lecture puisque qu'elle ne contient pas d'activités sur des textes. Il s'agit plutôt d'une méthode d'apprentissage du code alphabétique qui permet : de travailler la mémorisation du code sur d'autres supports que ceux destinés à la compréhension, de privilégier sur une période l'automatisation du décodage, de partager les mêmes supports et mêmes mots-référents avec d'autres intervenants auprès de l'enfant : maître E de RASED, collègues de cycle, parents ... Le code mémorisé servira à l'enseignant pour  entrer avec les enfants sur les textes de son choix  ( méthode de lecture ou albums ).

I.D. : Quels sont les résultats obtenus avec cette mallette ? (notamment pour les enfants illettrés en grande difficulté plutôt…) ?
Nous continuons d'être régulièrement étonnés par la réussite de nos élèves et de l'éventail des applications possibles.  Les enfants hospitalisés ou en décrochage du milieu scolaire parviennent à entrer dans la lecture grâce à ces outils car ils permettent d'évaluer où en est l'enfant dans son apprentissage et sa compréhension du code, puis l'enseignant repart des connaissances de l'enfant pour travailler celles qui ne sont pas maîtrisées.L'apprentissage différencié s'impose de lui-même: sur ces supports, la progression d'apprentissage du code alphabétique appartient à chaque enfant.
Nous observons également que les enfants de classe ordinaire mémorisent le code très rapidement et entraînent dans leur sillage les enfants plus fragiles.A l'origine, les outils ont été conçus pour des enfants en difficulté d'apprentissage. Ces outils présentent des repères fixes: consignes et règles de jeux identiques, même organisation spatiale, et reposant tous sur un système d'association de 4 éléments. Ceux-ci sont : le nom de la lettre ou le phonème (pour les graphèmes complexes et consonnes doubles), le mot-référent oral , le graphème, l'image du mot-référent. L'enfant mémorise l'association orale ( phonème/mot oral)  et  travaille de façon dynamique l'association visuelle ( étiquette-graphème posée sur l'image du mot-référent). Mais l'enfant utilise toutes les autres possibilités d'association pour automatiser la lecture du graphème et pour affiner sa perception des phonèmes les plus courants. De plus , la présentation des 26 lettres  des 40 graphèmes complexes, des 13 consonnes doubles sur des supports synthétiques facilite la mémorisation en autorisant un grand nombre de comparaisons. Ces supports donnent vraiment la possibilité aux enfants fragiles  d'accéder au code comme les autres.
Avec certains enfants présentant un retard de langage, ces outils structurent une prise en charge et les compétences abordées représentent les premiers points d'appui stables. En effet, la prononciation du nom de la lettre, du mot référent et le travail de phonologie autour de ces mots référents (scantion de syllabes, repérage ( oral et visuel) du phonème pointé dans le mot-référent) entraînent une gymnastique articulatoire des phonèmes.Là encore, la présentation des phonèmes ensemble permet la comparaison de leur prononciation : rapprocher les 2 mots référents des phonèmes confondus afin d'entendre leur différence, en sentir la place dans son corps lors de sa production phonique, repérer le placement de sa langue en fonction des phonèmes énoncés et y remédier . L'enseignant peut faire un travail très pointu sur ces difficultés en utilisant les feuilles de combinatoire, les dés, les roues de combinatoire.

Les enfants non-francophones tirent bénéfice de cet apprentissage massé et explicite du code alphabétique jusqu'au cycle 3. Les outils dévoilent explicitement notre alphabet, les phonèmes  existants dans notre langue et un ensemble de combinaison de lettres ( dont les graphèmes complexes ) nécessaire à la lecture du français. Les mots-référents constituent un premier lexique de base ( 83 mots).

7.      I.D. : A quel type de public professionnel destinez-vous cette mallette ? Enseignants, parents, orthophonistes, animateurs sociaux, éducateurs car la lecture est l'affaire de tous.L'école demande une aide aux parents, aux animateurs de l'aide aux devoirs. Chaque progression d'apprentissage du code alphabétique est liée à la méthode employée par l'enseignant. Chacun souhaite que les différentes interventions autour de l'enfant apprenti-lecteur soient en cohérence. L'apprentissage massé du code alphabétique peut tout à fait être relayé en dehors de l'école puisqu'à terme chacun vise l'automatisation des correspondances graphèmes-phonèmes. Les actions deviennent alors complémentaires et encore plus efficaces. Actuellement, les enseignants qui utilisent la mallette préférent en expliquer le fonctionnement aux parents au début de l'année scolaire. Nous envisageons d'ailleurs de rédiger « un mode d'emploi » en direction des familles.